
Article à paraître dans Trait d'Union, journal de l'IFYLCE fin 2016
Sabine a découvert il
y a trois ans l’enseignement laïc de la méditation d’un maître bouddhiste
tibétain et souhaite nous faire partager son expérience, notamment sa réflexion
sur l’apport que cette démarche peut apporter à son parcours yoguique. Cet
article est le premier de trois articles sur le sujet (les deux autres sont à
venir dans d’autres numéros de T.U) : il nous parle de la pleine conscience et
de la concentration, un deuxième article traitera de la compassion et le
troisième de la nature de l’esprit.
En quoi consiste cette méthode de méditation ?
Il s’agit de
l’enseignement proposé par Mingyour Rinpoché qui est un moine bouddhiste auteur
du best-seller « Bonheur de la médiation ». Il a choisi de développer
un enseignement sur une base laïque et adapté à une vie quotidienne active. Il
a créé une communauté de pratique et un enseignement appelés Tergar qui
veut dire « révélateur de trésor ». Cet enseignement propose des
sessions assises, dites « formelles », mais il préconise aussi,
surtout, de pratiquer dans les instants de la vie quotidienne : ouvrir sa
conscience en prenant le métro, en épluchant des pommes de terre, en discutant
avec des collègues… Tout devient opportunité pour poser son mental et déployer
sa conscience.
D’où vient-elle ?
Les méthodes de
méditation laïques issues des enseignements bouddhistes traditionnels sont en
vogue aujourd’hui. Elles se font appeler « méditation de pleine
conscience ». La plus connue est la MBSR (Mindfulness Based
Stress Reduction ou « Réduction du stress par la pleine
conscience ») qui est conçue à l’origine comme un programme thérapeutique. Pour
ce qui concerne la pratique que j’ai suivie, Tergar, elle a été déclinée sur la
base des enseignements vajrayāna. Il s’agit d’une forme de
bouddhisme d'origine indienne, nommée aussi bouddhisme tantrique, dont certains
principes sont semblables au shivaïsme cachemirien.
Cet enseignement de la méditation a-t-il une spécificité par rapport à d’autres enseignements bouddhistes ?
D’après ce que j’ai
compris du bouddhisme, on peut distinguer trois grands types d’approches (on
parle de « véhicules ») visant à libérer les êtres de la
souffrance et à les conduire à l’Éveil :
-
Le Hīnayāna (ou « petit
véhicule »), représenté aujourd’hui par le bouddhisme theravāda. Il
vise à découvrir la véritable nature de la réalité, sans existence autonome de
l'ego.
- Le Mahāyāna (ou
« grand véhicule »), se distingue du précédent
par l’accent supplémentaire mis sur la compassion. Les pratiquants, en plus du
vœu de la libération individuelle, font celui d’aider autrui sur le chemin de
l’Éveil.
- Et le Vajrayāna (ou
« véhicule de diamant »), qui est donc celui sur lequel se fonde l’enseignement que j’ai suivi. Ce Vajrayāna
est un mix des deux premiers, avec une différence notable : au lieu de
renoncer aux émotions perturbatrices pour maîtriser l’esprit et parvenir à
l'Éveil, il préconise l’utilisation du potentiel de ces émotions. Considéré
comme un moyen plus rapide que les précédents pour atteindre l’éveil, il
utilise des outils supplémentaires : recours aux Tantras ou autres
méthodes de méditations
yogiques (au sens tibétain du terme) comme le Dzogchen.
Ce
résumé est vraiment rapide, mais au moins, on sait un peu mieux où l’on se
situe !
Donc
vous vous êtes formés aux méditations vajrayāna. En quoi
consiste-t-elles ?
Disons que je n’en ai eu qu’un aperçu läic et
simplifié ! Le socle de ces méditations est commun aux autres
véhicules : il s’agit de calmer le mental et d’accéder à une conscience
plus pleine. On parle donc de « pleine conscience », mais certains
parlent aussi de « conscience ouverte » ou de « conscience
pure ». L’idée est de voir au-delà de la couche que le mental projette sur
le monde. En cela, donc, on est tout à fait proche des enseignements des Yoga-sutra de
Patanjali! D’ailleurs, n’oublions pas que le bouddhisme est né en Inde sur un
socle hindouiste, comme le yoga. Dans l’enseignement que propose Tergar, on utilise différents moyens pour
accéder à cette conscience « ouverte ». Dans l’assise, on invite le
pratiquant à poser son attention sur des supports variés, de la manière la plus
ouverte et détendue possible, sans focaliser . Ces supports peuvent être des
objets physiques, des sons, des odeurs, des goûts (la méditation sur les goûts
est particulièrement savoureuse !), mais aussi des pensées, des émotions,
des sensations corporelles. Bref tout est support à ouvrir la conscience.
L’esprit, à force de revenir sur l’objet, finit par laisser la conscience s’ouvrir
de plus en plus large, sans projection individuelle. Il existe aussi des
méditations sur la compassion, ainsi que des méditations plus analytiques destinées
à percer la nature de l’esprit. Mais ces deux-là feront l’objet de prochains
articles !
Comment pratiquez-vous, concrètement ?
Il y a différentes
occasions de pratique.
-
Les
pratiques formelles individuelles. Elles se font assises (ou en marchant) de
préférence à une heure et un lieu régulier. Il est fortement préconisé de s’y
consacrer au moins 20 minutes par jour.
-
Les
pratiques en sessions de groupe. Elles sont l’occasion de méditer
collectivement, ce qui est plutôt stimulant, elles permettent aussi d’échanger,
poser des questions. D’une durée d’une heure et demie, elles sont composées de plusieurs pratiques
assises ou en marchant, et des moments d’échange.
-
Et enfin, les
méditations sur le quotidien. Il s’agit de multiplier les moments d’observation
avec la conscience ouverte, dans différents moments de la journée. Ce peut être
sur une odeur, une émotion, ou l’observation d’un état de conscience sans
perturbation du mental. Nous sommes invités à nous créer nos propres rappels
qui nous placent dans la situation d’observateur de notre esprit.
Pouvez-vous nous donner un exemple de méditation formelle ?
Oui, d’abord il faut
adopter une posture confortable qui permet de s’installer dans la détente (sans
s’endormir, donc on évitera les postures allongées). Puis, on choisit un objet
de méditation qui nous servira tout le temps de cette pratique de 20
minutes. Prenons par exemple un aliment puisque j’ai évoqué plus haut à quel point
la méditation sur le goût était savoureuse. On place son attention sur
l’aliment dans sa bouche. Par exemple, du gingembre confit ! L’attention
posée sur l’objet n’est pas une concentration. C’est une perception accompagnée
de lâcher-prise. Essayez, et vous verrez que le goût du gingembre confit est
tout à fait différent ! L’idée n’est pas de développer ses papilles mais
ça peut être une conséquence bienvenue ! Prenons un autre exemple :
le son. Placez votre attention sur le son de votre lave-linge en marche. Et peu
à peu votre conscience intègre le son dans une globalité plus large. Chacun
mettra les mots qu’il souhaite devant une expérience qui lui est propre,
agréable ou désagréable, peu importe. Car c’est la perception du fonctionnement
de l’esprit qui compte. Dans cette méditation, on peut faire des allers-retours
sur l’objet et sur une méditation sans objet. À terme d’ailleurs, l’idée est de
parvenir à cet état de méditation sans objet.
Comment
ce type d’enseignement peut-il enrichir notre pratique de yoga ?
Le yoga est une
méditation à part entière – c'est-à-dire un chemin vers notre centre immuable,
la conscience « pure » - on ne peut donc opposer yoga et méditation.
Mais la technique de méditation Tergar a été enrichissante pour moi, comme pratiquante
et enseignante de yoga, car elle m’a permis en particulier d’affermir ma
vigilance (dhāranā). À force de placer l’attention sur un objet
déterminé (un son, une sensation, etc. à condition de ne pas en changer le
temps de la méditation), j’ai le sentiment de mieux parvenir à stabiliser les
tourbillons du mental. Comme la décision de méditer sur le support choisi, doit
être respectée tout le temps de la méditation, il s’agit d’une discipline
mentale ! Et cela permet d’exercer notre vigilance car l’esprit a tendance
à vouloir s’en écarter ! J’ai parfois l’impression, dans ces pratiques de
méditation, que mon cerveau est un muscle que je sollicite dans ses moindres
recoins, et que je lui fais pratiquer un sport de haut niveau. Parfois j’ai
l’impression que c’est un sport de combat. Mais à un moment, la conscience
s’ouvre… C’est bien là aussi l’objectif du yoga (sutra I.2 des Yoga
sutra[1]). La méditation (dhyāna), sur des
objets est évoquée dans les Yoga-sutras (par
exemple I.39 et III.2[2] ). Et
j’ai particulièrement été sensible, dans l’enseignement Tergar, à l’insistance
mise sur la combinaison de la vigilance et du lâcher-prise, qui est aussi
évoquée par le sutra I.12[3]
-
Par
ailleurs la méditation Tergar insiste sur le fait de pratiquer la conscience
ouverte aussi souvent que possible, dans les instants et les petits gestes de
chaque jour : discuter, manger, etc. Tout est une occasion de
pratiquer !
-
Par
contre, de ce que j’en connais pour le moment, le corps et le souffle sont
assez peu sollicités dans cet enseignement, et cela me semble cruellement manquer.
C’est pourquoi, le yoga me semble plus complet.
Les apports que
peuvent s’apporter respectivement ces pratiques sont certainement vastes et
méritent d’être approfondies. Tout est le bienvenu pour éviter, comme
l’illustre Mingyour Rinpoché, que notre mental soit agité comme un singe
incontrôlable !
[1] I.2 Yogashchittavṛttinirodhaḥ
« Le yoga est l’arrêt de l’activité automatique du mental »
Yoga-sutra, Patanjali, traduction Marie-Françoise Mazet. Ed Albin Michel 2003
p.20.
[2]
I.39 Yathā-abhimata-dhyānād-vā « Ou encore, par la méditation sur un objet de son
choix » op.cit p.53. et III.2 Tatra
Pratyaya-ékatānatā dhyānam « Dhyāna (la
méditation ou contemplation mentale) est le fait de maintenir une attention
exclusive sur un seul point. » op. cit. p.122.
[3] I.12 Abhyāsa-vaïrāgyābhyām tan-nirodhah.
« L’arrêt des pensées automatiques s’obtient par une pratique intense dans
un esprit de lâcher-prise » op. cit. p.28.
.
Photo : couverture du
livre de Mingyour Rinpoché.